Bureau de Sam

J'allais commencer à ouvrir les premiers dossiers de la première pile sur le bureau après m'être accoutumé à cet endroit spacieux, lorsque deux enfants visiblement jumeaux sont entrés dans le bureau d'un coup et s'amusent au policier et au voleur et semblent ne pas avoir remarqué ma présence. Je souris. J'ai l'impression de retourner en enfance, lorsque l'on jouait à ce même jeu dans les cours de récréations.

J'attrape le premier gros dossier au-dessus de la pile, et le feuillette vaguement, repérant uniquement les thèmes en tournant les diverses pages puis, finalement, je referme le dossier et m'approche des enfants et me mets à leur hauteur :

Ohhh le vilain coup de pied.

Je m'approche du petit au sol et le relève puis reste à leur hauteur. Toujours parler à des enfants de cette manière, il ne sert à rien de les regarder de haut. Je souris à nouveau. Vraiment, je ne regrette pas d'être venu au Tribunal :

Bonjour les enfants. Vous jouez au policier et au gangster ? Alors c'est qui qui gagne ?

Mon sourire ne quitte pas mes lèvres :

Oh quel mal poli, j'ai oublié de me présenter. Moi c'est Bryan et vous ?

Je tapote le petit bras de celui qui jouait le rôle du gangster puis lui dis :

Toi c'est Liam c'est ça ?

Puis m'adressant à celui que j'ai relevé ensuite :

Et toi mon garçon, comment t'appelles-tu ?

J'ai un rire franc quand Mikah saute sur son frère pour lui passer les menottes, puis j'ai un regard amusé pour Liam, qui grommèle, visiblement peu enjoué que j'aie permis à son frère de l'arrêter. Je suis assez surpris lorsque Mikah m'appelle par mon nom de famille. Je me savais connu à New York notamment via mes interventions télévisées, mais j'étais loin de me douter que des gamins de cinq ans s'intéressent à une telle actualité, bien que jouer au policier et au voleur, c'est déjà y porter une certaine attention.

Je serre donc gentiment la main de Mikah et lui réponds :

Ravi de vous avoir permis d'arrêter ce voleur Capitaine Mikah. N'hésitez pas à faire appel à moi la prochaine fois ! dis-je en lui faisant un clin d'oeil.

Inconsciemment, je jette un coup d'oeil à la carte de visite qu'il récupère de la poche de son frère avant de répondre à leur interrogatoire :

On ne peut rien vous cacher les enfants. Enfaite je suis là pour aider Sam à avancer dans ses dossiers. Il y en a pleins hein ? Puis comme j'aime beaucoup travailler, moi ça m'amuse.

Et vous alors, vous aimez bien travailler à l'école, ça se passe bien ?

Je me retiens d'éclater de rire lorsque Mikah me demande de faire "une loi de policier" pour interdire l'école pour des gosses de leur âge :

Oh non, je n'ai pas ce pouvoir là moi. Désolé Mikah.

Je lève un sourcil lorsqu'ils me disent que je suis à la botte de Sam. Bon, ce n'est pas tout à fait faux...

Puis lorsque j'entends une voix d'homme non loin, les appeler, visiblement assez remonté je leur dis :

Oups...On vous cherche je crois.

Ils n'ont d'ailleurs pas le temps de quitter la salle qu'un homme entre et leur tape sur la caboche. Ouille. Pauvres gosses qui ne demandent qu'à s'amuser. Mais bon, s'ils sont comme ça tous les jours aussi...Ca en deviendrait fatigant.

Lorsque leur père m'adresse la parole, et se présente, j'ai une seconde d'inaction, comme si j'étais inanimé puis finalement, hoche la tête et lui tends la main :

Ravi de faire votre connaissance Monsieur Wolf.

Le simple fait de l'appeler de la sorte, me fait repenser immédiatement au mail du Docteur Christian.

Oh, non, je venais d'arriver donc je n'ai pas eu vraiment le temps de me mettre au travail pour en être extirpé par vos "démons", comme vous dites. Je ne cherche rien de particulier, je viens donner un coup de pouce à Maître Sam afin de lui avancer quelque peu ses dossiers et ainsi lui permettre de respirer un peu.

Je fais un mouvement de tête vers les dossiers sur le bureau :

Tous ces dossiers pour une seule avocate, cela fait beaucoup n'est-ce pas ? Cela ne m'étonne pas que le retard s'accumule ensuite.

Dieu seul sait !

Je le salue et le laisse partir, me reprochant de ne pas l'avoir retenu pour le questionner un peu plus. Néanmoins, je dispose de sa carte de visite, sans doute pourrai-je le rencontrer une autre fois à son garage...Garagiste, mon cul oui, blindé aux as le garagiste. Et s'il n'a aucun lien avec le Jewish Hospital, moi je m'appelle Mère Théresa. Bref, je note tout ça dans un coin de ma tête puis retourne à mes dossiers, ou plutôt à ceux de Sam.

Installé au bureau, je sors un bloc note ainsi qu'un stylo. J'ouvre le premier dossier assez épais et commence à le traiter, notant les solutions juridiques que je lui préconise pour défendre son client. Durant une bonne grosse dizaine de minutes j'épluche toutes les pages et retranscris juridiquement les points essentiels à défendre et de quelle manière, mettant en valeur les failles du dossier que pourrait utiliser l'avocat de la partie adverse. Je suis rapidement replongé dans mes études de Droit, mais, curieusement, je traite le dossier avec une facilité déconcertante alors que je n'ai jamais vraiment traité de véritables dossiers. C'est assez amusant.

Le premier dossier traité dans les plus petits détails, je fais de même avec le second, puis le troisième, le quatrième et le cinquième. Le tout me prend un maximum de deux heures. Certains points étant plus délicats que d'autres, m'obligeant à feuilleter quelques codes de lois, et dans de tels cas, je trouve immédiatement ce que je cherche.

L'ayant débarrassé des plus gros dossiers, je sors deux feuilles blanches et un crayon puis dessine le portrait de Damon Wolf sur la première, de manière encore plus précise que d'habitude. Puis sur la seconde, je le dessine accompagné de ses fils. Fort de ces dessins, je pose mes coudes sur le bureau, le poing droit fermé et la main gauche le recouvrant. Je pose mon menton sur le tout et prends une profonde inspiration en fermant les yeux.

Je revis mes derniers jours au ralenti et en "marche arrière". Toutes les informations obtenues ayant un lien, s'imbriquent entre-elles dans ma mémoire. Ainsi, le nom de Damon Wolf, dernière information obtenue vient-elle se ranger dans "boîte numéro 1" accompagnée du Garage Wolf&co de luxe ainsi que du Jewish Hospital. En mélangeant le tout j'arrive à un premier résultat qui se résume ainsi :

Citation :

Damon Wolf est le propriétaire du Garage Wolf&co de luxe. Le mail reçu par le Docteur Christian de la part Monsieur Wolf est en lien avec Damon Wolf. Damon Wolf est riche, les hôpitaux demandent beaucoup d'investissements donc Damon Wolf a investi dans le Jewish Hospital ?

Plutôt satisfait de cette réflexion, j'ouvre ensuite une "boîte numéro 2" dans laquelle j'inclus les termes suivants : Little Dolls, Virginia, Summer, Lewis, liaison. assassinat, filiation. Ahsley Barton. Encore une fois, tous les éléments se lient les uns avec les autres et un résultat en sort :

Citation :

Virginia Jackson Dolls a eu une liaison avec Alban Garry Summer ce qui a donné naissance à Lewis, enfant naturel et caché par Virginia refusant que son fils soit enlevé par un flic fusse-t-il père de ce dernier. Assassinat de Alban Garry Summer pour l'écarter de son fils ?

Ahsley Barton témoin incontestée de la fusillade entre les Little Dolls et les One Niners. Retrouver sa trace pour remonter jusqu'à Lewis et sa descendance.

Je souris. La suite de mon plan se dessine sérieusement. J'ouvre à nouveau les yeux et retranscris le tout sur une page vierge du bloc note. C'est clairement la seconde piste que je vais suivre. Exit Paul Staer pour le moment.

Je la laisse s'émerveiller devant les dossiers sur lesquels j'ai travaillé mais aussi me lancer un air de reproche lorsqu'elle s'aperçoit que j'ai dessiné ce fameux Damon Wolf. Désolé, mais moi, je fais mon boulot. Je me place derrière elle et pose mes mains en douceur sur ses épaules. Puis, je lui fais une réponse globale, différente de mon habitude, pour qu'elle comprenne que je cogite en permanence, y compris lorsque je dors :

Depuis quelques temps, ma perception du monde s'est transformée. Je sais des choses que je ne savais pas ou ne pensais pas connaître. Je vois des détails que je ne voyais pas. J'analyse la moindre parole et tisse des liens entre les mots pour élaborer mes théories. Mes dessins sont plus précis. Et ce n'est pas l'effet de l'alcool Sam. Tu peux être tentée de croire que je suis fou et que je vois le mal partout, mais je n'ai confiance en personne d'autre que mon équipe dans cette ville, encore que je ne donne pas ma confiance à toutes les personnes au sein du NYPD.

Mon esprit ne fait qu'un tour dès lors que je rencontre une personnalité qui m'est inconnue et qui semble avoir une assise confortable à New York. D'autant plus lorsqu'elle possède le nom d'un gang. Bien sûr, les Wolf, il y en a plein l'Amérique, j'anticipe déjà ta réplique, mais il n'en reste pas moins que rien ne m'empêchera d'émettre le moindre doute. Pour l'heure je n'ai établi aucun lien entre Damon Wolf et les Blacks Wolves si cela peut te rassurer. En revanche...

Je sors sa carte de visite en or que je lui tends puis attrape le bloc note, tournant les pages qu'elle n'a pas tourné et, avant de lui montrer mon raisonnement, je lui fais un bref résumé de mon rendez-vous avec le Docteur Christian, ou plutôt l'élément qui m'importe ici :

Lors de mon entretien avec le Docteur Christian au Jewish Hospital, au moment où ce dernier cherchait le dossier de mon témoin, j'ai remarqué à travers la vitre qui était derrière moi, qu'il avait reçu un mail d'un certain Monsieur Wolf...

Je tourne sa chaise vers moi en douceur pour la fixer :

Lorsque Damon Wolf s'est présenté à moi, j'ai rapidement fait le lien entre le mail et cet homme.

Je sens dans son regard qu'elle hallucine, voire ressent presque de la peur. Je lui caresse la joue et lui montre mon raisonnement cette fois-ci avant de lui dire :

Je n'ai pas osé sur le coup lui poser directement la question, mais peut-être que tu as la réponse puisque tu sembles le connaître personnellement...

Il y a comme une certaine pointe de jalousie dans ce dernier morceau de phrase. Puis je demande finalement ce qui me brûle les lèvres :

Sais-tu si Damon Wolf a un quelconque pouvoir au Jewish Hospital...En est-il actionnaire ?

Je suis presque prêts à lui rappeler que les Black Wolves sont le gang le plus puissant et plus riche de toute l'Amérique, et que les possessions de ce cher monsieur ne ferait que concorder dans ce sens...Bien que cela ne soit pas suffisant...C'est bien dommage d'ailleurs...J'attends ensuite qu'elle finisse de tomber des nues puis conclue :

Pour ce qui est des Little Dolls, j'ai établi le même genre de raisonnement, et c'est sur cette piste que je vais me lancer dans les jours qui suivent.

Je lui indique également mon raisonnement sur le bloc note.

Je porte machinalement la main sur ma joue et la regarde partir comme une furie au sein du Tribunal, sans chercher à la rattraper d'une part parce qu'elle le connaît comme sa poche et ensuite, quand bien même je la rattraperais, cela ne changerait absolument rien. Je ne l'ai peut-être pas démérité après tout...Même si j'ai l'impression d'être un incompris, un homme qui ne fait que son métier, un réflexe de "vieux flic" comme disait mon père. Sans doute...Mais le plus souvent ça fait mouche. Je décide dorénavant de garder pour moi toutes les informations que je pourrais trouver sur les divers gangs autre que Little Dolls et One Niners tant que je n'ai pas de preuves irréfragables.

Je m'installe sur le siège qu'elle a occupé quelques minutes plus tôt, sors une feuille de papier et dessine un joli et énorme coeur rouge en trois dimensions de telle sorte que sa destinataire ait l'impression qu'il va sortir de la feuille pour venir se blottir contre elle. En haut à gauche de la feuille, j'y ajoute l'ange Cupidon, arc bandé prêt à tirer ses flèches empreintes d'amour. Je signe sobrement ce dessin ainsi : "Bryan." Puis je le glisse en tant que page de garde du prochain dossier le plus urgent à traiter.

Je récupère ensuite mes dessins et mes réflexions puis quitte le bureau en soupirant, fermant la porte derrière moi.

Je quitte le Tribunal pour me rendre à la salle de sport.