La cuisine [Vue sur le salon]

De retour dans la cuisine, je cherche ensuite d'où provient la fuite et l'ampleur des dégâts que les déménageurs ont fait subir à notre vieux frigidaire de plus de 15 ans. Je crois même qu'il était déjà là avant ma naissance, sans certitude. Au moins, il a l'avantage de bien fonctionner -outre cet accident de parcours- et surtout d'avoir un compartiment de congélation. Bon aujourd'hui on pourrait s'en acheter un neuf avec les mêmes options, mais, compte tenu de nos ressources du moment, ce n'est pas vraiment notre priorité.

Tout en passant la serpillière, je jette des oeillades au frigidaire pour en repérer la faille. Je profite également que mon père est de retour dans le salon pour continuer à déplacer ses cartons pour lui adresser à nouveau la parole :

La boîte à outils, tu l'as rentrée ou elle est restée dans la voiture ? Il va falloir que je le bricole un peu pour éviter de faire une piscine dès le premier jour...J'espère que ça ne prendra pas trop longtemps pour qu'on puisse attaquer le montage des bureaux et des lits.

Mon père a raison, si je m'échauffe pour un simple réfrigérateur usé, je risquerais d'exploser rapidement lorsque je rentrerai dans le vif du sujet. Me passant les mains sur le visage, j'avance vers le plan de travail aux côtés de mon père et de notre femme commune, notre drogue, la cafetière senseo, en enjambant la serpillère imbibée d'eau. Cela fait longtemps que je n'ai pas pris une goutte de ce café dosé d'une saveur intense.

Hochant la tête pour approuver ses propos, un léger sourire se dessine sur mes lèvres :

Tu as raison papa, je devrais garder mes nerfs pour le boulot qui nous attend. Volontiers pour le café, merci. Mes goûts n'ont pas changé, j'ai toujours ma préférence pour le corsé sans sucre.

Le laissant faire le café, je me poste à l'entre-baillement menant au salon et regarde par la fenêtre donnant vue sur le Square de Styvesant. Le temps grisâtre de l'automne me donne le bourdon, c'est fou comme les saisons peuvent influencer mon humeur. Sans doute est-ce de famille, car de mémoire, cela agi exactement de la même manière sur mon père. Tout en étant plongé dans mes pensées les bras croisés dans le dos, je réponds à sa réplique concernant les gangs :

Je me doute bien que cela ne va pas être une mince affaire papa, et que cela va nous prendre un temps fou en nous poussant à de nombreuses nuits blanches à plancher sur les dossiers des gangs. Mais, si j'ai fait mes études en crimino et mon stage à la NCAVC c'est bien parce que mes ambitions sont sérieuses. Si les membres des gangs sont des petits malins, ils ne vivront pas éternellement tranquillement dans les quartiers qu'ils se sont auto-adjugés.

Même si je dois passer toute ma vie sur leurs dossiers comme tu le fais, comme l'ont fait mon grand-père et arrière grand-père, je compte bien être à l'origine du démantèlement d'un maximum de gangs et plus particulièrement celui des Little Dolls. Et si nous pouvons le faire ensembles, ça serait encore plus grisant.

Je retourne à ses côtés en récupérant mon café bouillant au passage et pose une main rassurante sur son avant bras. Je porte la tasse à mes lèvres en buvant quelques gorgées qui me brûlent le gosier comme à l'accoutumée et reprends :

Aujourd'hui tu n'es plus seul sur l'affaire papa, je suis revenu exprès pour te soutenir dans ton combat.

En ce qui concerne une éventuelle manigance entre les Black Wolves et les Yakuza, je dois t'avouer que c'est un élément assez intéressant dans la mesure où les Yakuza sont, d'après mes recherches que j'ai pu effectuer au cours de mon cursus, solitaires et n'hésitent pas à cogner sur n'importe qui. Toutefois, un lien pourrait se tisser en filigrane entre les Black Wolves et les Yakusa, un marché, ce qui expliquerait pourquoi ces derniers possèdent Chinatown aujourd'hui : Si mes souvenirs sont bons, qu'il s'agisse des Black Wolves ou des Yakusa, ces deux clans ont un objectif commun, celui de décimer le clan des Little Dolls qui ont porté atteinte à la vie d'un de leurs leaders.

Il faudrait creuser sur ce point. Et pour les fiches des membres, tu as raison, nous devrons nous y mettre au plus vite.

Je déguste mon café et poursuis :

Enfin, tu as sans doute de nombreuses choses à m'apprendre à propos des gangs avant que l'on entame le boulot lundi. On peut en discuter en montant les meubles si tu veux. Pour ma part je suis friand d'en savoir plus et pressé d'attaquer ces études de dossiers.

On commence par monter nos bureaux ou tu préfères discuter sur le canapé pour souffler un peu depuis notre arrivée ? Dans tous les cas je suis tout ouï, pendu à tes lèvres comme un élève buvant les paroles de son professeur !

Mes lèvres s'étirent doucement sur un sourire fier avant que je ne lâche un petit rire. Je me gratte ensuite la tempe, m'installant contre le plan de travail avec ma tasse de café. Je souffle dessus dissipant un peu la fumée qui se dégage de la tasse.

Hm... Ta théorie est intéressante Bryan. Mais attention aux interprétations, je peux comprendre que c'est tentant mais tu es loin d'être voyant ou mentalist et...ça peut coûter cher parfois surtout dans la Police District. Une fausse info peut détruire tout ce que tu as construit. C'est d'ailleurs ce qui m'est arrivé tu le sais. A force de m'acharner sur un homme politique que je pensais lié aux gangs, je me suis fait dégager. Là... avec l'émission de télévision, on a tout secouer, les New Yorkais en ont marre des gangs et je les comprends... Ne pas être sûr de pouvoir sortir le soir et de revenir vivant ça devient rapidement gonflant à un moment.

Je fronce les sourcils à sa dernière proposition et lui donne un coup de pied imaginaire, en grondant :

Nan mais tu crois que j'ai quel âge espèce de petit con ?! J'ai que 40 ans, je n'ai pas besoin de souffler comme un pépé oh ! Donc au boulot ! Rien que le montage va nous prendre la journée! Demain on rangera les dossiers, je dis pas trier car c'est mission impossible surtout pour moi vu le bordel... J'ai pas touché à mes dossiers sur les gangs depuis bien longtemps... Et lorsque je suis parti, je n'ai pas pu récupérer tout mon travail... J'espère qu'ils n'ont pas touchés à la base de données... Oui, ils parce que ce sont les gangs qui contrôlaient la NYPD (New York Police Department or District) avant.

Lundi, on s'organisera avec les collègues et nos effectifs pour faire du terrain. Je vais mettre en place plus de patrouilles que ce soit de jour ou de nuit. Je ne veux plus voir un de ces rats traîner dehors...!

Je pose donc ma tasse après l'avoir fini dans l'évier. Et enjambe un carton qui est dans le couloir, me dirigeant vers le petit salon, et sors le couteau que je tiens de mon père et qu'on s'offre de père en fils... J'ai un regard pour Bryan, et me relève,

Tiens. Pour fêter notre installation et ton entrée dans la NYPD. Félicitation mon fils, tu ne peux même pas savoir à quel point je suis fier de toi. Tu me dépasses largement.

Je pousse ensuite du pied et des mains un gros carton jusqu'à sa chambre et commence à en sortir les pièces démontées des meubles.

Bon et bien, c'est partit pour jouer au légo hein ? Ah la boîte à outils !

Je me lève rapidement et claque la porte de l'appartement avant de filer dehors avant de remonter avec la boite à outil restée dans notre voiture. Et c'est reparti.

Donc qu'est-ce que je pourrais bien te dire... D'après ce que j'ai pu observer, apprendre et étudier... Il y a cinq gangs principalement, bien sûr il y en a de plus petits mais eux, ils sont tellement minoritaires et plus faibles que es autres les écrasent. Ce sont les géants qu'il faut couler...

Le plus ancien c'est celui des Black Wolves. Je pense qu'ils en sont à la quatrième ou cinquième génération, mais le problème vois-tu c'est qu'on ne connaît leurs chefs uniquement lorsqu'ils se font descendre. Et comme n'importe qui peur reprendre les commandes... Ce n'est pas obligatoirement de parents en enfants... Et la plupart du temps, ils ont de faux noms et de fausses professions et ont des avocats aussi ha ha... ça par contre c'est une vraie merde. Ils sont pas commodes les avocats, ces salauds de chef sont très difficile à amener dans un commissariat ou devant un juge. J'ai jamais réussi pour tout t'avouer.

Là il faut jouer en finesse si on fait trop de bruits d'un coup, ils vont s'arranger pour nous descendre après nous avoir muter. La famille Summer leur court après depuis un moment maintenant. Oh et pour ton interprétation, je te montrerai pourquoi elle n'est pas possible selon moi! Mais plus tard...

Je me tais un moment, restant dans ces paroles évasives, et lui fait signe de venir m'aider pour emboiter deux pièces du lit.

Je ricane intérieurement lorsqu'il feint de me donner un coup de pied. Un sourire se dessine sur mes lèvres :

Non non, bien sûr, je disais juste ça comme ça, si tu préférais en discuter tranquillement. Mais tu as raison, le temps presse et il vaut mieux tout monter au plus vite pour pouvoir attaquer les dossiers rapidement.

Alors que je m'apprêtais à entamer le boulot de montage après que mon père ait souligné que ma théorie était intéressante mais très certainement erronée car trop rapide, contre toute attente, il sort une lame de la poche de sa veste pour me l'offrir en m'expliquant que c'est une tradition qui se perpétue depuis des générations en se l'offrant de père en fils. De petites larmes des joies commencent à naître dans mes yeux. Je me saisis de la lame et la fais tourner entre les mains en plaçant la pointe sur mon mon indexe. Je le range ensuite dans son étui cuivré et le place dans la poche intérieure de ma veste. Je me mordille la lèvre inférieure et le serre dans mes bras en lui tapotant le dos :

Merci papa, ça me va droit au coeur.

Je m'écarte ensuite et reprends mes esprits pour me mettre au boulot. Nous terminons notre café et tandis qu'il redescend pour récupérer la boîte à outils, je prends place dans la chambre et empile les pièces du lit en fonction des combinaisons. Je fais un maximum d'espace pour que nous puissions le monter contre le mur Nord sur toute la largeur.

Tout en commençant à monter le socle du lit j'écoute attentivement ce que mon père a à me dévoiler à propos des gangs et en particuliers celui des Black Wolves, le plus anciens d'entre-eux.

Tandis que mon père emboîte deux pièces du lit, je sors la visseuse et serre deux vis de chaque côté. En continuant notre oeuvre je réponds à son discours sur les Black Wolves :

Je veux bien te croire que c'est la galère pour les cerner et découvrir par avance le futur chef de gang. De même, comme tout bon gang qui se respecte, cela ne m'étonne absolument pas qu'ils sachent se trouver des avocats véreux qui connaissent le droit sur le bout des doigts pour casser les commission rogatoires et les mandats d'amener que la NYPD peuvent leur soumettre. Ils doivent trouver des vices de procédures par ci par là.

Ce qu'il va falloir faire pour remonter légalement jusqu'à eux ça sera de rassembler un maximum de preuves. Ils vont comprendre que les Summer ne lâchent jamais le morceau et qu'ils comptent bien tout mettre en oeuvre pour les faire tomber. Ceci est valable pour les Black Wolves mais aussi pour les autres gangs.

Après avoir monté le pied du lit, j'enjambe les bordures de ce dernier pour me retrouver au milieu et entamer la tête du lit en fixant les pièces maitresses entre-elles. Je termine sur une dernière réplique :

Lundi, au bureau,il faudra que je fasse connaissance avec notre équipe, que tu leur fasses un topo de ce que tu comptes mettre en place pour serrer les vis et montrer au gangs qu'ils ne sont plus les seuls maîtres ici. Et enfin, il faudra jeter un coup d'oeil ensembles à la base de données pour que je puisse être au parfum du dossier de chacun des gangs et que l'on puisse commencer à plancher pour répertorier leurs activités les plus récentes et enfin, si tu me l'autorises, nous pourrions revoir ensemble tes dossiers confidentiels après les avoir triés. En tous les cas on a énormément de boulot devant nous.

On termine de monter le lit en installant le sommier puis j'attrape un grand carton d'une hauteur de deux mètres pour en sortir une planche de bois vernie aux angles arrondis que je pose contre le mur en face du lit et sors le mètre -de 5 mètres- pour prendre les dimension du mur contre lequel je compte le fixer.

Malgré ma taille assez grande, je monte sur un marchepieds pour plus de stabilité et d'aisance pour prendre les mesures. Je sors un crayon de ma poche avant de ma veste, que je tiens entre les dents le temps pour moi de dérouler le mètre et fais signe à mon père de venir me donner un coup de main pour que je puisse faire les marquages. Cela étant fait, je prends deux vis d'une traille moyenne que je fixe au mur afin de pouvoir poser ma planche dessus. Il vaudrait mieux que je ne me plante pas dans les mesures sinon elle risquerait de basculer dès que je rangerais mes livres dessus...

Bien, c'est déjà ça, je t'offre un second café avant de monter mon premier bureau ?

Le montage des meubles et le reste de votre installation vous prend toute la journée et celle du lendemain. Vous êtes courbaturés de partout à force de ranger des cartons, des livres, et autres fantaisies. Ton père est désespéré rien qu'en voyant les cartons remplis de dossiers, et de notes. Il y en a pour un sacré moment niveau tri.

Comme à votre habitude, vous vous shootés au café pour tenir, rien qu'à vous deux, vous liquidez deux paquets de café par jour. Attention à ne pas être trop énergiques non plus, l'abus de caféine est très mauvais pour la santé...

Lundi arrive, ton père est déjà debout tandis que tu profites de tes dernières minutes de sommeil, une longue journée vous attends. Il va falloir faire connaissance avec votre équipe, gérer le budget, définir quel territoire appartient à quel gang et regarder dans la base de données. En espérant qu'il reste quelque chose de potable.

Un nouveau job, un nouveau départ. Let's go Summer family!